jeudi 15 mars 2018

Albert Dupontel : « Au revoir là-haut » et bonjour les Israéliens...


De sketches cultes comme « Le Bac », « Rambo » à « Au revoir là-haut », le parcours de cet ancien étudiant à l’école de médecine Bichat, Philippe Guillaume devenu Albert Dupontel comique puis acteur et enfin réalisateur ‘césarisé’ est sans limite.
Novembre 1919. Deux rescapés des tranchées, l’un dessinateur de génie, l’autre modeste comptable, décident de monter une arnaque aux monuments aux morts. Dans la France des années folles, l’entreprise va se révéler aussi dangereuse que spectaculaire…
« Au revoir là-haut » est à l’origine un roman éponyme de Pierre Lemaitre, il s’agit d’une fresque de l’après-guerre de 14 sur l’illusion de l’armistice, de l’Etat qui glorifie ses disparus et se débarrasse de vivants trop encombrants. Paru en 2013 aux éditions Albin Michel, il a reçu plusieurs prix littéraires, dont le prix Goncourt.
Albert Dupontel, après son dernier film « 9 mois ferme », une comédie tournée avec Sandrine Kimberlain s’empare de ce sujet et l’adapte au cinéma? pour déclarer la guerre « à ceux qui ont aimé la faire ».
Film de tranchées, reconstitution historique de la Belle Epoque, lutte des classes, récit de vengeance, tragédie ­filiale, ce film épais et riche renoue avec le grand cinéma.
C’est Boulie Lanners qui devait jouer le rôle principal, mais l’acteur belge s’étant désisté deux mois avant le tournage, Dupontel partage l’affiche avec ses acteurs, « finalement c’était bien, ça m’a permis d’être l’un des leurs, » dira-t-il. « Mais si c’était à refaire, je ne le referai pas. »
Au terme de son exploitation, « Au revoir là-haut » enregistre plus de deux millions d’entrées et jette un regard nouveau sur la Première guerre mondiale.
Jusqu’à présent cinéaste foisonnant, burlesque et bricoleur, Dupontel se révèle ici un véritable virtuose : plongées, contre-plongées, travellings latéraux, avant-arrière, plan aériens et souterrains… Le réalisateur tourbillonne autour de ses personnages et ne pose sa caméra que pour donner chair et émotion à ses personnages : (le jeune Argentin qui a joué dans le très acclamé « 120 battements par minute » de Robin Campillo) Nahuel Pérez Biscayart, Laurent Lafitte, Niels Arestrup, Michel Vuillermoz, Émilie Dequenne, Mélanie Thierry, Kyan Khojandi…
L’anti-star Albert Dupontel, ne s’est pas rendu à la cérémonie des césars cette année, tout comme les autres années d’ailleurs, alors que son film nominé dans 13 catégories a remporté 5 récompenses dont celui de la meilleure réalisation et de la meilleure adaptation (avec Pierre Lemaitre).
C’est la première fois de sa vie qu’Albert Dupontel se rend en Israël. Et le Times of Israël l’a rencontré mardi, le jour de l’avant-première à Tel Aviv.
Albert Dupontel, le 13 mars 2018 à Tel Aviv (Crédit : Tomer Appelbaum)
Albert Dupontel est enthousiaste. Il ne souhaite pas s’exprimer sur le conflit, mais lors d’une conférence de presse le lendemain, il répondra à un journaliste : « c’est très très difficile de juger pour quelqu’un qui est en dehors de ça. Quand je dis je ne peux pas juger, ça veut pas dire que je donne raison à l’un ou à l’autre, ou que je renvoie tout le monde dos à dos. C’est un sujet très compliqué, même en France, ça génère des débats, des questions. Je trouve ça terrible. Beaucoup de souffrance. La seule chose que je me risquerai à dire, c’est que je pense que les peuples s’entendraient mieux que leurs dirigeants ».
Puis un journaliste de l’AFP a souligné qu’il avait pourtant pris parti en 2014 – quand radio Shalom l’avait accusé d’antisémitisme après que le réalisateur a décrié des propos du philosophe Alain Finkielkraut, sur le conflit israélo-palestinien dans une émission de Thierry Ardisson.
Le réalisateur répond : « Non, je n’avais pas pris parti, j’avais dit que les propos de Finkielkraut me paraissaient faciles et simplistes, et ça m’a valu d’être traité d’antisémite sur radio Shalom pendant plusieurs jours. Et vu que j’avais un comptable qui s’occupe de moi, et qui est membre du Crif, les choses se sont un peu calmées. Je ne savais même pas que Finkielkraut était juif […] C’est donc un sujet super épineux et je ne suis pas qualifié pour y penser, ni même pour exprimer officiellement, donc lâchement, je passe mon tour. »
Albert Dupontel a fait le voyage jusqu’à Tel Aviv pour présenter « Au revoir la-haut » au public israélien. Un public israélien ravi et friand des productions françaises puisque l’année 2017 a été une année record pour les films français en Israël attirant plus d’un million de spectateurs dans les salles. (La 15e édition du festival du film français en Israël présente 18 longs métrages, du 13 mars au 7 avril, dans huit villes israéliennes.)
A la conférence de presse, Dupontel a tenté de résumer ses impressions vis-à-vis des Israéliens : « pour un scénariste, c’est extraordinaire, je rencontre dix israéliens et c’est dix histoires différentes. Ce sont des gens qui veulent être là. Il y a une volonté d’être là. C’est pas forcément le cas en Europe. En France, les gens se plaignent beaucoup d’être français. En Israël, c’est un pays où on sent qu’il y a des difficultés, dues entre autres à la pression internationale. Mais il y a une joie profonde d’être là. A l’hôtel, du serveur au manager, ils ont tous des histoires différentes, je vous assure, c’est très passionnant. Je ne sais pas si vous vous rendez compte, mais c’est un melting-pot culturel, c’est fascinant. J’ai rencontré des Franco-israéliens, qui souvent viennent pour des raisons d’amour, alors c’est joli, des fois ils sont même pas juifs… C’est vraiment intéressant, ça m’impressionne beaucoup. »
« Au revoir la haut » de Albert Dupontel
Voici la retranscription de notre interview :
Times of Israël : La réalisation de ce film contraste avec vos précédents, plutôt des comédies, c’est une super production [17 millions d’euros – jusqu’à 300 figurants pour certaines scènes] et un film grand spectacle très ambitieux, comment s’est déroulée la genèse ?
Albert Dupontel : Comédies… « Bernie » c’est un gars qui découvre qu’il a été trouvé dans une poubelle, « Enfermé dehors », c’est un clodo qui pique l’uniforme d’un policier suicidé, et « 9 mois », une juge enceinte d’un psychopathe, donc pas réellement des pitchs de comédie !
En fait j’étais en train de préparer « 9 mois » quand mon agent m’a envoyé le texte de « Au revoir là-haut ». Le livre n’était pas sorti, je l’ai lu sur ordinateur. Je l’ai trouvé extraordinaire. Moi j’y voyais un pamphlet contre l’époque actuelle. C’était un budget énorme, j’avais jamais voulu rentrer dans des projets de cette envergure.
Mais c’était audacieux : un mélo en costume dans le paysage cinématographique français actuelle à 17 millions d’euros, c’est une audace triviale, loin d’être évident, c’est ça que j’aimé. Et c’est passé, dans la chaîne de production tout le monde a dit oui. Au premier non j’aurai laissé tombé. Et on a fait plus de deux millions d’entrées.
« 9 Mois Ferme » un film de Albert Dupontel Crédit ©Jérôme Prébois
Comment expliquez-vous cette série de ‘oui’ sans obstacles ?
Le plus dur c’est d’écrire une histoire pareille, l’histoire est extraordinaire, moi je suis incapable tout seul d’écrire des histoires comme ça. Là je me prends la tête sur mon prochain film, sur un fait divers drolatique et tragique à la fois, je vais revenir à une production beaucoup plus humble pas par calcul mais parce que le film ne mérite pas plus d‘argent.
Il y a eu beaucoup de films américains sur les blessés de retour de la guerre du Vietnam, en France il y a eu « La chambre des officiers » (de François Dupeyron), mais c’est un sujet relativement peu utilisé. Comment la France a-t-elle traité ses combattants de retour ? Dans votre film on voit une ingratitude totale.
Tout est authentique. Historiquement les gens ont été vraiment jetés, quand ils voulaient récupérer leur boulot, on en a pris d’autres pendant la guerre. Le personnage joué par Laurent Lafitte qui trafique le métrage des cercueils pour faire de la marge, c’est une histoire vraie. L’arnaque des monuments aux morts est inventée par Pierre Lemaitre mais il a dit qu’il ne serait pas étonné si elle avait existé.
Les gens sont partis au service de la nation et rentrés au rebut de la nation, s’ils revenaient vivant ce qui était déjà un exploit. Il y a eu 1 400 000 morts en France.
« Au revoir la haut » de Albert Dupontel
Le film parle effectivement d’un sujet rarement vu : les arnaques de l’après-guerre. Il y a eu les scandales des exhumations par les opportunistes du malheur, mais les arnaques… pouvez-vous nous parler de cet aspect de la guerre et de cette période ?
L’économie d’un pays aime bien la guerre. Cette guerre a été fomentée par des gens qui y avaient un intérêt. Il y avait des montées sociales un peu partout en Europe, et quelque part les économies, les industriels, les puissants avaient intérêt à ce que tout le monde se foute sur la gueule, inconsciemment évidemment, en tout cas ils n’ont pas crié non à la guerre, ils y sont allés avec enthousiasme.
Du coup toutes les déviances sont possibles, donc au retour de la guerre, vu le nombre de morts il y avait des marchés à faire, à partir de là c’est une chaîne sans fin de profits cyniques, pervers.
Mais le film, c’est une fiction, on s’attache aux personnages et le climax émotionnel du film n’a rien à voir avec l’histoire, c’est juste un père qui dit à son fils : ‘je vous ai mal aimé, je m’en excuse’.
Oui il y a énormément de thèmes abordés dans l’histoire, lequel vous est le plus cher ?
La relation père-fils. Qui n’existait pas dans le livre. D’ailleurs les scènes de guerre, aussi complexes soient-elles ont été faciles a tourner, car il ne s’agit que de technique. Alors que la scène finale, c’est de l’émotion pure, ça ne se maîtrise pas. Dans le livre c’est une autre fin, le père écrase le fils avec sa voiture. Pierre Lemaitre ne voulait pas faire un roman de gare, il voulait que ce soit noir.
Pierre Lemaitre (Crédit : CC BY-SA 4.0)
Comment s’est déroulée l’adaptation avec lui ?
On ne s’est vu que deux fois, il n’a pas été intrusif et quand j’ai proposé cette fin il m’a dit d’accord, la seule réserve qu’il avait c’était sur la paternité, statistiquement c’était peu probable mais c’était délibéré. Je voulais que ces mecs s’en sortent alors que dans le livre ils ne s’en sortent pas.
La démarche de Pierre Lemaitre a toujours été de me dire ‘c’est ton film, tu te débrouilles’.
Que pensez-vous du cinéma israélien actuel, vous avez vu certains films ?
J’en vois mais je ne connais pas bien mais je sens qu’il y a une expression qui est forte.
A cet instant une bruyante sirène retentit dans toute la ville, il s’agit en fait d’un exercice national avec une simulation d’attaques de roquettes, l’interview s’interrompt, Albert Dupontel est impressionné et curieux de savoir comment s’est déroulée la période 2012 lorsque des missiles étaient tombés sur Tel Aviv.
Tout intéresse ce laïc, Jérusalem qu’il va découvrir pour la première fois, l’Iran dont il pense que le peuple est aussi bien différent de ses dirigeants… Il ne serait pas étonnant qu’un jour il ne s’attaque à d’autres guerres dans le monde au travers d’un autre film…

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