vendredi 17 avril 2015

Apolline de Malherbe: « Je ressens beaucoup d’émotion envers le peuple juif et son histoire »


À l’occasion des commémorations du Yom Hashoah la Fondation France-Israël, présidée par l’ancienne Ministre Nicole Guedj, organisait le 6e voyage d’une délégation de descendants de Justes parmi les Nations. La marraine du groupe cette année était Apolline de Malherbe, une journaliste politique très connue et reconnue en France qui officie sur la chaîne d’information en continu, BFM TV. LPH a pu s’entretenir avec elle. Elle nous raconte l’histoire de sa famille et l’héritage qu’elle est fière et émue de porter.
Le Plus Hebdo : Vous êtes la marraine de la 6e délégation des descendants de Justes organisée par la Fondation France-Israël. Comment avez-vous réagi lorsqu’on vous l’a proposé ?
Apolline de Malherbe : J’ai tout de suite accepté. J’avais déjà été très émue lorsque mon grand-père et mon arrière-grand-mère ont été reconnus comme Justes parmi les Nations. L’homme juif qu’ils ont sauvé est resté un proche de la famille, il était le parrain de mon père, je l’appelais moi-même « Oncle Didier ».
LPH : Comment avez-vous appris cet épisode héroïque de votre famille ?
A.d.M : Mon grand-père lui-même me l’a raconté dans les lieux mêmes où tout s’est déroulé : la maison dans laquelle il vit toujours aujourd’hui.
LPH : Pourriez-vous nous résumer l’histoire ?
A.d.M : Didier Lazare, 25 ans, était étudiant à Sciences-Po Paris. À la fin de ses études, la guerre faisait rage et en tant que Juif il devait fuir, s’éloigner de Paris. Il a changé son nom en Didier François et s’est fait engager dans une famille, dans la Sarthe, comme précepteur. Mais cela fut de courte durée puisque les gens chez qui il habitait se sont aperçus qu’il était juif et lui ont laissé une demi-heure pour quitter les lieux. Didier s’est alors adressé au curé qu’il savait être un homme bon. Ce dernier l’a orienté vers les de Malherbe : mon grand-père qui avait 17 ans et sa mère, veuve. Ma famille l’a accueilli dans un premier temps sans savoir qu’il était juif. Au bout de quelques jours mon grand-père a voulu jouer cartes sur table. Didier lui a alors avoué s’appeler Didier Lazare et être juif. Après consultation avec mon arrière-grand-mère, il fut décidé que Didier resterait caché dans la maison. Ils prenaient un risque important : leur voisin s’était fait fusillé une semaine plus tôt pour avoir caché un Juif… Ils avaient conscience de ce que leur décision impliquait, ils ont prié et sont allés de l’avant. Mon grand-père m’a toujours dit que pour eux, il était naturel de tendre la main à une personne qui en avait besoin.
Une nuit mon arrière-grand-mère aperçoit des ombres dans leur jardin : c’étaient des officiers SS qui s’y étaient réfugiés en raison des bombardements. Didier est alors caché dans le grenier. Au petit matin, les nazis tapent à leur porte pour réquisitionner la maison. Un plan a donc été élaboré pour faire évader Didier. Mon grand-père l’a déguisé en jardinier et sous les regards des SS, ils ont ensemble traversé le jardin. Il m’a avoué avoir eu très peur. Sur un vélo prêté par mon grand-père, Didier part à la campagne chez des amis de la famille avant de trouver un autre refuge. Après la guerre, il a retrouvé ma famille et ils ne se sont plus quittés par la suite.
LPH : Que vous inspire le fait d’être une descendante de Justes ?
A.d.M : Je suis très émue par le courage et le lien humain que toute cette histoire montre. Je ressens beaucoup d’émotion et une curiosité particulière envers le peuple juif et son histoire. Pour moi, être journaliste aujourd’hui est ma façon de remplir le mieux possible mon devoir de transmission. Le groupe que nous sommes dans la délégation est à ce propos très émouvant : chacun apporte son histoire, il y a eu beaucoup de larmes.
LPH : Quand vous observez les évènements en France, pensez-vous que ce courage et ce lien humain que vous évoquez soient encore présents dans la société ?
A.d.M. : L’atmosphère en France est lourde. J’ai raconté l’histoire de ma famille lors d’un discours prononcé pour la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv, quelques jours après les manifestations où on a crié « Mort aux Juifs » à Paris. Pour moi cela revêtait une importance particulière de parler précisément dans ce contexte. Cela prouvait encore plus de la nécessité de témoigner. Mais je veux aussi voir l’aspect lumineux : même dans les heures les plus sombres de notre histoire, des gens, de toutes les régions, de toutes les couches économiques et sociales se sont illustrés.
LPH : Pourtant on a la conviction quasi-certaine que s’il n’y avait eu que l’attentat contre l’Hyper Cacher, le sursaut de la population française n’aurait pas eu lieu.
A.d.M. : Je pense qu’il aurait dû y avoir un sursaut comparable au moment de l’attentat contre l’école juive de Toulouse. Il n’a pas eu lieu, sûrement aussi parce qu’à ce moment on n’imaginait pas l’envergure du phénomène, et parce que cela s’est produit en pleine campagne présidentielle. Ceci dit, je ne veux pas dire que sans Charlie Hebdo il n’y aurait pas eu de sursaut. Les deux évènements sont un tout, on ne peut pas les dissocier. Je ne sais pas ce qui se serait passé s’il n’y avait eu que l’Hyper Cacher. Le réveil du peuple de France a eu lieu, mais il faut une vigilance de tous les instants. Le vivre ensemble est menacé en France et l’antisémitisme en est la manifestation la plus cruelle et la plus injuste.
LPH : C’est la première fois que vous venez en Israël. Comment vous y sentez-vous ?
A.d.M. : Déjà dans l’avion j’ai eu un premier aperçu : mes voisins israéliens, comprenant pourquoi je venais en Israël, m’ont tous donné leur adresse et numéro de téléphone et m’ont invitée chez eux ! Israël est un pays à la croisée de tous les chemins, de toutes les religions. Je suis catholique pratiquante et ce voyage est pour moi significatif aussi sur ce plan. J’ai l’impression en me promenant qu’en Israël il n’y a pas de frontières entre les uns et les autres. Jérusalem est émouvante, Tel-Aviv est plaisante, elle fait penser aux ambiances américaines, elle est laïque et dynamique, c’est fabuleux cette diversité !
Guitel Ben-Ishay
Photo à la une: la 6e délégation des descendants de Justes à son départ de Paris

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