samedi 7 juillet 2012

En Egypte, la revanche de Moubarak ?



S'il a encore quelques moments de lucidité dans l'hôpital où il est emprisonné, le vieux raïs destitué a dû esquisser un sourire. Cette scène du samedi 30 juin, peut-être entraperçue à la télévision, où l'armée égyptienne rend hommage au premier président islamiste du pays, il l'avait prévue, ou presque.


Hosni Moubarak ne la souhaitait sans doute pas, mais il a tout fait pour qu'elle ait lieu. Il en est le maître d'oeuvre. Il avait préparé le terrain en Egypte et prévenu ses amis à l'étranger : c'est moi ou les Frères musulmans.


Ce 30 juin, le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, 76 ans, chef du Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui dirige l'Egypte depuis le retrait de Moubarak, cède le pouvoir – enfin, une partie du pouvoir – à Mohamed Hussein Morsi, 60 ans, petit chef de la confrérie des Frères musulmans, adversaire de toujours de l'institution militaire.


Depuis la chute de la monarchie en 1952, Mohamed Morsi est le premier chef d'Etat égyptien qui ne vient pas de l'armée. Il est le premier à être élu démocratiquement ; le premier à être diplômé d'une grande université américaine ; et, surtout, le premier à appartenir aux Frères musulmans.


Officiellement, tout a été fait dans la légalité ou ce qui en tient lieu en ces temps bouleversés. Le professeur Morsi a été déclaré vainqueur le 24 juin. Il a devancé de justesse le candidat de l'armée, Ahmed Shafiq, dernier premier ministre de Moubarak. Il a prêté serment devant la Haute Cour constitutionnelle. Il a reçu l'imprimatur de l'armée, quand le général Tantaoui, en uniforme, lui a rendu les honneurs sur la base militaire de Hike Step, dans la banlieue du Caire.


Mais ce bel ordonnancement masque sans doute un marchandage politique qui ne déparerait pas dans une série télévisée sur la Mafia. Une négociation au couteau entre les deux seules forces politiques organisées du pays, l'armée et les Frères.


Tout s'est passé comme si les généraux avaient voulu préserver une partie du pouvoir avant d'en concéder une autre à leurs adversaires-complices de toujours. Comme s'ils avaient prévu la victoire de Mohamed Morsi et n'avaient consenti à lui accorder l'investiture qu'après s'être assuré de solides garanties.


Avant de reconnaître les résultats du scrutin présidentiel de mai-juin, le CSFA a affaibli les Frères. Il les a "attendris". Avec l'aide des juges de la Haute Cour, à sa disposition, il a fait prononcer la dissolution de l'Assemblée législative élue en février. Peu importe le motif invoqué, qui relève d'un juridisme pointilleux, la vraie raison est claire : l'Assemblée était dominée par les islamistes.


Puis le CSFA a excipé de ses pouvoirs exceptionnels pour fixer quelques repères qui s'imposeront au nouveau président. Celui-ci ne devrait plus être le commandant en chef des armées, fonction dévolue au maréchal Tantaoui, qui resterait au poste de la défense. Le CSFA sera solidement représenté dans le nouveau comité chargé de rédiger la prochaine Constitution. Les militaires auront le dernier mot sur leur budget : ils préservent leur empire financier et industriel. Ils garderont la haute main sur les affaires de défense, de sécurité intérieure et de justice.


On assiste moins à une transition politique qu'à un partage du pouvoir, disent les commentateurs politiques au Caire. "C'est la nouvelle phase dans l'arrangement entre les généraux et les Frères", estime Bahey El-Dine, de l'Institut cairote des droits de l'homme.


La rivalité entre militaires et islamistes domine la vie politique de l'Egypte depuis des dizaines d'années. Cela a longtemps servi les premiers. Ils se sont toujours assuré qu'il n'y ait face à eux aucune autre force d'opposition que les islamistes. Durant ses trente ans de règne (1981-2011), Hosni Moubarak, chéri des Occidentaux, a écrasé partis de gauche et centristes, libéraux, défenseurs des droits de l'homme et, plus encore, de la femme.


Pourquoi ? Pour nourrir un chantage qui devait fonctionner à l'intérieur comme à l'extérieur : le pouvoir, c'est nous ou les islamistes ! Au nom de cette martingale politique perverse, Moubarak a interdit l'émergence de toute force politique laïque.


Les Frères ont aussi été martyrisés par le pouvoir, torturés et embastillés, mais ils sont inexpugnables : si leur poids politique réel est contesté, ils font partie du paysage, comme les nénuphars appartiennent au Nil. Ils sont nés au bord du fleuve en 1928, avec le dessein de promouvoir l'islam politique, l'un des derniers et des plus grands avatars de la pensée magique : la religion comme réponse à tous les problèmes d'une société.


En un sens, Moubarak aurait gagné. Le patriarche déchu avait prévenu. Il tiendrait sa revanche : unique force d'opposition organisée, les Frères sont au pouvoir – par la grâce d'un "printemps arabe" qui a d'abord été le fait des courants les plus laïcs et les plus libéraux de l'Egypte d'aujourd'hui.


Que les militaires ne viennent pas se plaindre de cette alternance au pouvoir, tonne Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po et expert de la région : "Ils l'ont construite", ils l'ont voulue, en empêchant toute autre alternative.


Généraux et Frères poursuivent leur duo. "Ils continuent à étouffer l'Egypte avec leur vieille rivalité", dit encore le professeur Filiu, qui ajoute : "Ce n'est pas une nouvelle donne, c'est l'ultime reflet d'un passé qui s'achève, le dernier épisode d'une succession de phases d'affrontement et d'accommodement entre militaires et islamistes." Même si la coexistence tient quelque temps – quelques mois ? –, Jean-Pierre Filiu juge qu'elle ne correspond plus à l'Egypte d'aujourd'hui : "A peine mise en route, elle est déjà dépassée." Le pays bouillonne d'autres forces politiques, celles de la place Tahrir, qui commencent à s'organiser – enfin !


M. Morsi a un doctorat d'ingénieur. Il devra composer avec l'armée, les Frères, des islamistes plus radicaux encore et les formations laïques émergentes. Il lui faudra être très fort en physique.

frachon@lemonde.fr


Alain Frachon (International)

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