vendredi 6 juillet 2012

Avignon, les femmes ont-elles le beau rôle dans le spectacle vivant ?



Alors que le Festival d’Avignon s’ouvre samedi 7 juillet, des voix dénoncent la sous-représentation des femmes aux postes stratégiques du spectacle vivant et s’interrogent sur l’instauration de quotas pour établir la parité. Evene a enquêté sur un sujet qui reste tabou.
La culture, un modèle de progrès et d’égalité hommes/femmes ? Oh que non ! On en est fort loin, si l’on en croit le dernier rapport livré par la chef d’orchestre Laurence Equilbey en juin dernier et présenté au sénat par la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques). Des résultats sans appel sur le sexisme qui sévit dans le milieu artistique – une statistique parmi d’autres : 81,5% des postes dirigeants de l’administration culturelle sont occupés par des hommes. Et ce déséquilibre touche l’artistique autant que l’administratif. À tel point que le « groupe d’action féministe » La Barbe, déjà à l’origine d’une tribune cinglante dans Le Monde déplorant l’absence de réalisatrices en compétition officielle Festival de Cannes (« Les femmes montrent leurs bobines, les hommes, leurs films. »), jouaient quelques jours plus tôt les trouble-fêtes lors de la présentation de saison du Théâtre de l’Odéon. Son nouveau directeur, Luc Bondy, ne trouvant rien à redire à sa programmation (14 spectacles signés par 14 metteurs en scène hommes), n’en est toujours pas revenu.
Quelles demoiselles d’Avignon ?
© Ilka KramerHortense Archambault et Vincent Baudriller, © Ilka KramerLe Festival d’Avignon, lui, ne semble pas craindre pareille polémique. Il faut dire qu’il peut se targuer d’être codirigé par une femme depuis 2004, Hortense Archambault, à la tête de la plus importante manifestation dédiée au spectacle vivant avec Vincent Baudriller. Ce qui d’ailleurs n’est pas un gage de parité, si l’on en croit la programmation à venir de la Comédie-Française, dirigée parMuriel Mayette – outre la reprise d’Andromaque mis en scène par Mayette herself et de L’Avare par Catherine Hiegel, on compte une seule création dirigée par une femme, Anne-Laure Liégeois. Hortense Archambault souligne au contraire une présence remarquable des femmes dans le In d’Avignon cette année : Katie Mitchell, Séverine Chavrier, Nacera Belaza,Régine Chopinot… Notons que la plupart sont des chorégraphes et non des metteurs en scène de théâtre. Notons aussi que l’artiste associé du festival, le Britannique Simon McBurney, est encore un homme. Ce qui a le don d’agacer Hortense Archambault : « Vous oubliez Valérie Dréville… » C’est vrai, la comédienne était artiste associée en même temps que Romeo Castelluci, en 2008. Seule exception qui confirme la règle de l’artiste associé mâle instaurée en 2004. « De toute façon, je ne me demande pas si un artiste est blanc, noir ou juif », tranche la codirectrice d’Avignon. Pourtant, elle se dit sensible au sexisme ambiant et voit d’un bon œil les débats sur l’égalité hommes/femmes organisés par le mouvement H/F dans la cité des Papes.     
Où sont les femmes ?
Cécile, membre du mouvement d’action féministe la Barbe explique les racines du problème : on oppose systématiquement aux quotas « la sacrosainte liberté de l’artiste ». « Dans les milieux culturels, ajoute-t-elle, on ne parle pas de hiérarchie, on ne parle pas de « patrons ». Alors que les différences de salaires sont les mêmes qu’à EDF et que le plafond de verre existe aussi ! » La vérité, difficile à entendre pour les acteurs du secteur culturel, est pourtant bien là : les inégalités se situent autant au niveau administratif qu’artistique. Blandine, membre fondatrice et ancienne présidente du mouvement pour l’égalité des sexes dans la culture H/F Ile de France, explique que ces inégalités se font dès l’écriture et la distribution des rôles : « Sylvie Cromer a mené une étude qui montre que dans le théâtre jeune public ou la littérature enfantine, les personnages qui arrivent en tête sont les hommes, puis les petits garçons. » Même phénomène dans les autres genres : depuis Shakespeare, les rôles sont écrits majoritairement pour des hommes. Dans cette filière masculine, où sont les femmes ? Réponse donnée par Luc Bondy, lors de l’action Barbe à sa présentation de la saison 2012 / 2013 à l’Odéon. « Il y a des femmes dans mon théâtre », a-t-il lancé avant de préciser qu’elles sont… « à la communication ! »
  
« Si tu nous reçois en tutu, tout se passera bien… »
© Nick MeadLa Barbe à l'Odéon, © Nick MeadPour Blandine du mouvement H/F, il faut « compter et chiffrer ces inégalités » pour les rendre visibles à tous. En mai 2006 paraissait le premier rapport sur la parité dans la culture, commandé à Reine Prat, agrégée de lettres et chargée de mission par le Ministère de la Culture et de la Communication. Ce premier rapport, qui expliquait la difficulté des femmes à accéder aux postes à responsabilités dans le secteur du spectacle vivant, a été immédiatement suivi par la création du mouvement H/F puis par un deuxième rapport, « De l’interdit à l’empêchement. » Les chiffres se révèlent toujours aussi catastrophiques dans le nouveau rapport commandé en 2011 par Laurence Equilbey, chef d’orchestre et directrice du chœur Accentus. 85% des textes joués sont d’auteurs masculins, mis en scène par 78% d’hommes, qui sont également 95% à diriger un orchestre. Ils sont à la tête de 75% des théâtres nationaux, 85% des centres dramatiques et 96% des opéras. En tout, 81,5% des postes culturels sont occupés par la gent masculine. 
La danse semble échapper à ce machisme. « La danse est beaucoup plus mixte que le théâtre, rappelle la chorégraphe Dominique Hervieu, nouvelle directrice de la Maison de la danse et de la Biennale de la danse de Lyon, après avoir été à la tête du Théâtre National de Chaillot. Les femmes chorégraphes sont très présentes dans l’histoire de la danse au XXème siècle et il y a plus de petites filles que de garçons dans les Conservatoires. » Mais les choses sont beaucoup moins équilibrées au niveau des postes de direction : les hommes sont encore majoritaires à la tête des Centre Chorégraphiques Nationaux (CCN). Et, selon Dominique Hervieu, être une femme avec des responsabilités dans ce milieu n’est pas une sinécure : « Je peux encore entendre des choses humiliantes avant une réunion importante, du genre « Si tu nous reçois en tutu, tout se passera bien. » Le politiquement correct nous préserve la plupart du temps mais la méfiance des hommes à l’égard des femmes est devenue plus sournoise. Une femme doit plus argumenter, donner des preuves de la validité de ses décisions. Tandis que certains hommes estiment avoir une légitimité naturelle… »
« Une non-expression des femmes »
© Jean-Louis BergamoLaurence Equilbey, © Jean-Louis BergamoConcernant le domaine administratif, Laurence Équilbey constate que la France se situe dans la moyenne européenne, mais pour ce qui est de la programmation artistique, elle avoue avoir été « saisie » par les « mauvais chiffres dévoilés » : « c’est un étouffement. La culture est une chasse gardée, avec des portes non ouvertes, alors que les femmes devraient avoir le droit de monter des projets et faire carrière, comme les hommes. Il y a une non-expression des femmes dans ce pays, c’est presque hors-la-loi ! » Une discrimination confirmée par les chiffres du collectif H/F, qui dénoncent les budgets largement inférieurs alloués aux femmes directrices de scènes nationales. « Les théâtres qui n’ont pas beaucoup d’argent ont du mal à programmer des femmes, parce qu’elles ont des projets plus fragiles financièrement que ceux des hommes. Au niveau des scènes régionales le budget moyen d’un projet est de 74 000 euros. Quand il est mis en scène par un homme, c’est 77 000 euros et par une femme, 44 000 euros », explique Blandine. Pour H/F, la solution est simple : les quotas. Le mouvement demande l’application d’une loi sur l’égalité professionnelle dans les secteurs culturels. La discrimination positive, certains la pratiquent déjà. À commencer par Jean-Michel Ribes, le patron du Théâtre du Rond-Point : « À qualité égale, on choisit le spectacle d’une femme plutôt que celui d’un homme. On ne reçoit pas autant de dossiers de femmes que d’hommes, je ne peux pas les inventer mais on fait attention et on en a plutôt plus que les autres, de Sophie Perez à Emma Dante, en passant par Emma la clown. Je note une progression nette des spectacles dirigés par des femmes, souvent équivalents ou meilleurs que ceux dirigés par des hommes. Ce que je trouve dommage, c’est qu’il n’y ait pas un regard du ministère de la culture sur ces femmes.» Mais le terme de quota fait encore tiquer. Même Dominique Hervieu n’y est pas favorable pour faire sa programmation : «  Entre deux artistes homme-femme au talent équivalent, je choisirais la femme si la parité n’est pas atteinte, mais je ne suis pas pour les quotas. Rachid Ouramdaneest invité à la Biennale de la danse parce que c’est Rachid Ouramdane, je ne me pose pas la question de savoir si j’invite un homme ou une femme. » Une façon de rappeler qu’un artiste n’est pas réductible à son sexe ni à son genre.  
Le gouvernement attendu au tournant
© JC MarmarAurélie Filippetti, © JC MarmarAlors que la brochure 2012/2013 du Théâtre du Châteletrépète le fâcheux oubli de l’Odéon, les défenseurs de la parité ont une raison de plus de continuer le combat. Dans la période gonflée d’espoir qui suit une élection, les regards se tournent vers Aurélie Filippetti, nouvelle ministre de la Culture. H/F prévoit déjà de la rencontrer, via l’intermédiaire de Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes et proche du collectif. En première page du cahier des charges, l’absence des femmes aux postes de direction : c’est là qu’est le nœud du problème, selon Laurence Équilbey. La réforme prioritaire à ses yeux ? Les futures nominations administratives des deux prochaines années, qui devront être favorables aux femmes : « il faut un rééquilibrage urgent, car tout part de la direction de la programmation. » La chef d’orchestre estime que la mixité dans le spectacle vivant s’intègre dans un domaine plus large, celui de la culture en général. « Ce n’est pas la société qui fait évoluer la culture, mais le contraire. Réformer la situation actuelle nous fera tous avancer plus vite », espère-t-elle. Un changement dont brûlent d’impatience les militants en tout genre, à commencer par la fondatrice d’H/F : « On a cinq ans pour faire bouger les choses. Avec toutes les promesses  faites par Hollande, on ne va pas le lâcher ! »

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