vendredi 1 juin 2012

Les écrivains et Facebook, « j’aime » moi non plus***



Avec ses identités falsifiables et sa sociabilité forcée, Facebook est-il un bon sujet de roman ? Oui, mais pas comme on l’imagine. Loin du renouvellement de la forme sur lequel on pariait dans les années 2000, les réseaux sociaux entrent surtout dans les romans comme symptômes de l’époque et prétextes à intrigues. Panorama alors que le « fb » comme on le dénomme désormais est au cœur des nouveaux livres de Solange Bied-Charreton, de Jérôme Dumoulin et d’Ariel Kenig.
« Vertige existentialo-narcissique, oui. Tu sais comme moi que c’est pour baiser qu’on s’inscrit sur Facebook. C’est un Meetic qui dit pas son nom, point ». Ce verdict sans appel est signé John, l’un des héros du Roman de l’été de Nicolas Fargues, bobo quinquagénaire qui, le temps d’un été, tente d’écrire un roman sur sa terrasse. Est-ce l’auteur qui parle à travers son personnage ? Si oui, Fargues, avec son flair habituel pour capter l’air du temps, participerait du courant de vague méfiance où se situent de nombreux écrivains face aux réseaux sociaux en général et à Facebook en particulier, symptômes selon eux du vide contemporain et du recul des préoccupations profondes au profit de la communication pure, de l’immédiateté et de l’insignifiance. La littérature serait-elle fâchée avec le réseau ?
Nouvel opium du peuple
©Le FigaroNicolas Fargues, ©Le FigaroAu départ, pourtant, Facebook avait été regardé, avec un optimisme un peu béat, comme une sorte de tremplin pour la littérature. Tremplin pour les contacts entre les auteurs et leur public, d’abord, sous une forme moins guindée et plus directe que les traditionnels salons, conférences ou séances de signature, à supposer bien sûr que les auteurs en question soient favorables à ce genre de rapprochement, avec le risque d’envahissement, et plus généralement qu’ils soient adeptes du virtuel. Certains en sont revenus, comme Frédéric Beigbeder qui, un temps séduit par MySpace et Facebook, finit par tout bazarder au nom de la déréalisation des rapports humains – une critique qui rejoint son opposition actuelle au livre numérique. « Que va devenir une génération qui drague sur photos et petites annonces, exhibe sa vie privée dans les moindres détails et préfère le virtuel au réel ? Le virtuel est le nouvel opium du peuple », tranche-t-il dans Voici.
Nouvelles écritures ?
©Flammarion'Notre seconde vie' de Alain Monnier, ©FlammarionMais nombre d’auteurs demeurent enthousiastes et, sans s’arrêter à des considérations sociologiques, voient dansFacebook non seulement un gigantesque réseau publicitaire pour démultiplier l’effet du bouche-à-oreille, mais une manière d’inventer de nouvelles formes d’écriture. Ainsi, depuis la fin des années 2000, les projets de « romans interactifs » fourmillent, plus ou moins convaincants, parfois cornaqués par de grandes enseignes (un marchand de livres par correspondance recrute Anna Gavalda pour coécrire un livre surFacebook, en 2010). En Autriche, en 2009, l’auteur hongrois Gergely Teglasy lance Zwirbler, « le premier roman Facebook », auquel n’importe quel adhérent du réseau peut collaborer (en allemand…) dès qu’il est majeur. Au Québec, Bertrand Laverdure et le belge Antoine Boute (alias Ariane Bart) échangent des messages sur Facebook puis en tirent un roman expérimental (et érotique !), 100% Ergonomique. Quant aux Belges, jamais à court de bonnes idées, ils lancent une collection basée sur les statuts (ces petits messages censés exprimer l’humeur du moment) et intitulée « Lu sur Facebook ». Parmi les titres parus, Arnaldinho Gaucho part en polygamie et Patrick Lowie est pour l’interdiction de la raclette suisse en Belgique… Des tentatives sympathiques, certes mais devant lesquelles on a peine à croire que Facebook et les réseaux sont vraiment capables de réinventer l’écriture littéraire, comme on a un temps voulu le croire. Plus modestement, les réseaux subissent le sort ordinaire de tous les éléments de notre décor social : les écrivains s’en emparent, et les intègrent dans leurs intrigues. En 2007, Alain Monnier s’intéressait ainsi à Second Life dans un roman qui, à la différence de ce jeu aujourd’hui passé de mode, a bien passé l’épreuve du temps, Notre seconde vie(Flammarion). De même, aujourd’hui, c’est par Facebook que le héros d’Ariel Kenig entre en possession d’images compromettantes dans son nouveau roman, Le Miracle. Du côté des polars, quelle meilleure mine de faux-semblants et de mensonges que le réseau, avec ses identités libres et ses profils inventés ?
Identités fabulées
©Francesca MontovaniSolange Bied-Charreton, ©Francesca MontovaniLe thème de l’identité fabulée et du « jeu plein de menteries qui se joue surFacebook » est au cœur du nouveau roman de Jérôme Dumoulin, Faux profil. Ou comment une bande d’amis surFacebook commence à s’interroger sur l’identité réelle de l’un d’eux, l’énigmatique Cyril, Russe installé dans les Ardennes luxembourgeoises qui refuse de montrer son visage… Outre l’enquête, très prenante, l’un des intérêts du livre est qu’il intègre le réseau dans une narration « ordinaire », sans afféteries ni volonté de bousculer les codes, contrairement à une tendance formaliste qui n’a jusqu’ici pas donné de grands résultats. Mieux, Jérôme Dumoulin s’amuse à multiplier les références aux humanités classiques, comme pour jouer l’effet de contraste. Réflexion sur l’identité et l’amitié, jeu de miroirs sur le double et le faux-semblant, Faux profil, derrière ses allures classiques, est peut-être l’un des rares exemples de romans réussis « sur » ou « à partir » de Facebook, grâce à son choix de déplacer le réseau en arrière-plan, d’en faire un contexte plutôt qu’un sujet. Ce qui n’empêche pas Dumoulin de faire preuve de recul et d’esprit critique à l’égard des mœurs du réseau, en stigmatisant par exemple la fadeur, voire la niaiserie, de cette espèce de consensus forcé qui s’exprime à travers les « J’aime », où l’on clique sans y penser. Une critique que reprend Solange Bied-Charreton dans Enjoy, son premier roman, où elle imagine une sorte de néo-Facebook nommé ShowYou, réseau où les participants doivent poster une vidéo par semaine au minimum, avec l’effet d’accoutumance qu’on imagine. Peut-on encore vivre hors connexion dans l’Occident des années 2010, s’interroge l’auteur, elle-même experte de la toile où elle a tenu divers blogs ? Derrière les mésaventures de son héros, un jeune consultant hypermoderne, elle tourne en dérision la vacuité des rapports humains à l’heure du tout-virtuel et l’aseptisation des personnalités quand elles se coulent dans les moules imposés par les réseaux. La posture de refus aimable mais ferme de John, le narrateur prémonitoire de Fargues, s’avère ainsi largement partagée : « Toute cette niaise dictature du parfait citadin-citoyen du monde, je suis peut-être vieux jeu, mais non merci ». Verdict qui ne doit pas vous empêcher, si cet article vous a intéressé, de cliquer sur « J’aime », en haut de la page. À bon entendeur…
Faux profil, de Jérôme Dumoulin (Grasset, 312 p., 19 €)
Enjoy, de  (Stock, 238 p., 18,50€)
Le Miracle, d’Ariel Kenig (L’Olivier, 152 p., 16 €)
Le Roman de l’été, de Nicolas Fargues (Folio, 320 p., 6,20 €)
http://www.evene.fr/livres/actualite/les-ecrivains-et-facebook-j-aime-moi-non-plus-989691.php

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